Linn. Appelez moi Linn. c’est ce que la demoiselle a tendance à demander lorsqu’on utilise son prénom en entier. Pour le coup, elle a réellement l’impression de ne pas être celle qui porte ce long, trop long prénom. Car, Linn se cache, voyez-vous. Personne ne sait qui elle est réellement. Toute sa vie, elle s’est cachée derrière le masque de la jolie bimbo un peu stupide que tout le monde pensait qu’elle était, et son père en tête de liste. Mais, lui parler de ses parents est une super mauvaise idée. Il n’en faut pas plus pour qu’elle se braque et s’enfuie limite en courant. Sa famille, elle les aime, mais une part d’elle-même ne leur pardonnera jamais d’avoir été tellement… Idiots et bornés. Jamais elle ne pourra avoir la vie dont elle rêve, et quelque part c’est à cause d’eux. En apparence, Linn est donc une jeune fille pas très intelligente, capable de temps à autre d’avoir des éclairs de génie. Elle est un peu hautaine et les gens ont du mal à dépasser les barrières dont elle s’entoure. Beaucoup la considèrent comme une garce simplement parce qu'elle est jolie. Elle s'est fait beaucoup d'ennemis simplement en les regardant avec un petit sourire en coin. Mais ça... C'est ce qu'il se passe quand on grandit là où elle a grandis, dans l'un des pires quartiers de San Francisco. Les termes peu élogieux à son sujet sont légion.

Et si on creusait un peu ? Linn est un véritable petit génie. Avec un QI calculé l’année de son entrée au collège de 182, elle est l’une des personnes les plus intelligentes de la planète. Le souci ? Sa famille. Si vous voyez les Tuches, alors vous comprendrez parfaitement l’enfer qu’elle a vécu. Sa  plus grande sœur doit avoir un QI de 10, et encore on est gentils. Vivre au milieu d’une famille incroyablement stupide quand on est incroyablement intelligent, ça donne deux solutions : un génie névrosé, ou alors une personne qui se force à être totalement normale. Et, Linn a vite compris que pour elle, c’était la seconde solution la plus valable. Après tout, sa famille n’aurait jamais envisagé qu’elle puisse être intelligente. Vraiment pas. Linn a donc choisi la voie de la normalité, et elle a appris à jouer la comédie avec un brio qui lui vaudrait un oscar.

Les contes de fée commençaient par « il était une fois ». Mais, cette histoire était loin d’être un conte de fée. Alors, pourquoi s’emmerder avec les fioritures, hein ? Notre petite Linaëwen n’était pas une princesse. Elle n’était pas attendue non plus, pour être franche. Lorsque sa mère s’est rendue compte être enceinte, elle avait déjà deux enfants, son mari allait et venait à son gré, et au gré de l’autre femme avec laquelle il couchait, et elle n’avait pas du tout envie d’être à nouveau mère. Sa première idée fut d’ailleurs d’abandonner l’enfant et de le laisser sur le parvis d’une église. Et encore, ça c’était parce qu’il était trop tard pour avorter. Le déni de grossesse avait ses bienfaits, après tout… Ce fut uniquement grâce à ça que Linaëwen put naitre.

Sa mère commença par tenter de trouver une famille pour adopter la gamine, histoire de passer pour mère porteuse. Mais, cela ne se fit pas. Personne ne voulait d’un enfant qui allait grandir avec une mère à moitié junkie, après tout. La mère de notre petite Linn dût donc mener sa grossesse jusqu’au bout, et dans son taudis habituel. Comment cela se fait-il qu’elle ne fut pas abandonnée à la naissance ? Simplement parce que sa mère y laissa la vie, dans cet accouchement. Linn et ses deux sœurs ainées furent donc confiées à leur père, qui fut contraint et forcé de réintégrer la maison familiale. Après tout, il s’était fait mettre dehors par sa copine du moment quand elle avait réalisé qu’elle allait devoir s’occuper de trois morveuses. Visiblement, elle était bonne pour faire des pipes, mais pas pour s’occuper de gamines qui n’avaient rien demandé. Enfin, ça c’était ce que son père n’arrêtait pas de répéter alors que Linn grandissait.

Vous voulez une anecdote sur son prénom ? Son père n’avait aucune idée du prénom choisi par sa femme. Absolument aucune. En fait, il ne savait même pas qu’elle comptait abandonner l’enfant à la naissance. Alors, quand on l'a appelé pour lui dire que l’accouchement se passait super mal, il a débarqué un peu paniqué et on l’a exilé dans une salle d’attente. C’est que, même s’il la trompait et s’il courait remplir tous les trous qu’il pouvait, il l’aimait sa femme ! Il l’aimait vraiment. Donc, dans la salle d’attente, il attrapa un magazine à la noix, un truc débile dont il ne se rappellerait même pas le nom. On finit par l’appeler. Par lui dire que sa femme avait mis au monde une petite fille. Et ensuite, sans transition, qu’elle était morte. Il crut d’abord qu’on parlait du bébé. Et puis il comprit. Et il entra dans une énorme colère. Il traita tout le monde d’incompétent, passa la nuit à pleurer sur le cadavre de sa femme. Et, au matin, la sécurité vient le chercher à la morgue. Une femme derrière eux tenait le bébé. Une autre avait des papiers à lui faire signer. Il ne manquait qu’une seule chose : le prénom de la gosse. Il sortit le premier mot qui lui vint à l’esprit, et la demoiselle échappa de peu à s’appeler « Ajax ». Il se rappela d’un mot vu dans le magazine de la veille, voilà pourquoi Linn s’appelle Linaëwen.

La sécurité escorta le nouveau papa jusqu’à la sortie, où il rentra chez lui avec un petit paquet hurlant dans les bras. Papa n’avait jamais eu l’instinct paternel, et ce fut la petite de huit ans qui se chargea de changer la couche et donner le biberon à la petite Linn. Ensuite ? Oh, ensuite les petites amies d’un jour, d’une semaine où d’un mois recommencèrent à pulluler dans la maison et les trois gamines eurent à peu près une enfance correcte. Nous insistons sur le terme « à peu près ».

Lorsqu’elle eut quatre ans, son père commença à essayer de lui apprendre à manipuler les gens pour gagner de l’argent. Après tout, sa famille avait réellement besoin d’argent. La maison n’était pas reluisante, et une tempête avait détruit les fenêtres du premier. Le toit fuyait. Bref, comme toute famille qui avait des problèmes d’argent, un père à moitié alcoolique et moitié drogué, vivant des allocations parentales et les dépensant pour s’acheter toujours plus de saletés à s’injecter ou à boire, les factures s’accumulaient. Debbie, la plus âgée des filles, du haut de ses douze ans, était déjà une experte : elle séchait les cours pour vider les poches des passants et enchainait avec du babysitting le soir. Marina, la seconde, était plus du genre à savoir faire semblant de tomber et de se faire mal pour que papa puisse utiliser son ami avocat afin de ramener toujours plus d’argent à la maison. Papa était un fraudeur, et il utilisait tous les moyens à sa disposition pour y arriver. Spécialement quand il n’avait plus rien à s’injecter.

Mais, notre petite Linn était récalcitrante. Pendant que papa tentait de lui montrer comment profiter du système, avec sa bouille adorable, elle regardait les oiseaux dans le ciel, ou demandait à un passant de lui lire les titres sur les panneaux publicitaires et les journaux. Ce fut comme ça qu’elle apprit à lire, d’ailleurs. Toute seule ou presque. A cinq ans et sans jamais avoir été à l’école, elle avait appris à lire. Et, grâce aux manuels de Marina, qui trainaient partout dans la maison, elle apprit aussi à compter et les bases des mathématiques. Elle aurait pu continuer comme ça bien longtemps s’il n’y avait pas eu les services sociaux qui s’intéressèrent à la famille d’un peu trop près.

Durant trois mois, Marina, Debbie et Linaëwen furent placées dans des familles d’accueil différentes. Ce fut la meilleure expérience de la gamine. Des « parents » qui l’écoutèrent et lui permirent d’élever son esprit, l’école, et surtout plus de combines débiles. Linn s’épanouit comme jamais. Et, au bout de trois mois, papa sortit de son centre de désintox, trouva un job minable et récupéra ses gamines et les allocations qui allaient avec. Le calvaire recommença pour Linn. La seule chose qu’on ne lui enleva pas, ce fut l’école. Elle y allait tous les jours et là, elle était bien. Tranquille. Elle adorait ça pour être franche. Elle comprenait tout. Elle avait d’excellentes notes. Sa vie continua, tant bien que mal, jusqu’à ses onze ans.

A ses onze ans, elle passa des tests, comme tous les enfants. Tests auxquels elle eut sans forcer la note maximale. Alors, la psychologue de l’école commença à lui faire passer d’autres tests. Pour la demoiselle qui avait jusque-là cru qu’elle était parfaitement normale, la nouvelle fit l’effet d’une mauvaise blague, surtout dans un collège de quartier mal famé comme celui dans lequel elle était. Elle était un petit génie. Elle mit un mois à s’y faire. Un autre à en parler à Debbie. Mais, Debbie était stupide. Elle se contenta de rire, de fumer un autre joint et d’envoyer des messages à son plan cul du moment. Debbie s’en fichait. Et, Marina était encore à l’hôpital pour une de ses fraudes… Son père était trop défoncé pour se rendre compte de quoi que ce soit.

Linn n’en parla donc à personne. Elle se renferma sur elle-même. Elle arrêta de travailler en dehors des cours, et même pendant. Coudes sur son pupitre, elle observait le tableau. Malheureusement pour elle, même comme ça, elle réussissait à retenir tout ce qu’il y avait à retenir. Et elle avait toujours de bonnes notes. Même en le faisant exprès, elle n’arrivait pas à être nulle. C’était une sensation affreuse pour elle. Elle excellait partout… sauf dans la médiocrité.

Le truc le plus nul de sa vie fut le jour où Marina alla trop loin dans ses fraudes. Habituée à se faire mal en permanence, elle recherchait encore et toujours de plus grandes sensations. Se jeter sous les roues d’une voitures fut fatal. Linn pleura beaucoup. Debbie encore plus. Et, leur père fut inconsolable. Marina était celle qui ramenait le plus d’argent à la maison, après tout. Linn n’en ramenait jamais. Et Debbie commençait à utiliser le sien pour sa pomme. Alors, papa était impossible à consoler.

Linn avait treize ans. Elle hésita environ quinze secondes avant de déménager chez sa grand-mère, à l’autre bout de la rue. Elle allait souvent se réfugier là bas lorsque son père était trop bruyant avec ses compagnes, trop saoul ou trop… chiant. Tout simplement. Du jour au lendemain, elle prit toutes ses affaires, profitant d’une absence de Debbie et d’un coma éthylique de son père pour aller s’installer dans ce cocon. Papa ne fut pas content. Mais, il n’avait pas son mot à dire, et de toute façon, il y resta trois mois plus tard. Mamie devint sa tutrice. Debbie était majeure et comme elle n’avait fait ni études ni trouvé de vrai boulot, elle finit sur le trottoir pour payer les factures. Le seul problème de notre petite Linn ? Mamie n’avait plus toute sa tête, elle oubliait souvent que sa petite fille était là, et elle laissait brûler le dîner. En dehors de ça, Linn avait sa propre chambre, et une chambre propre, des voisins sympas, et la possibilité de faire tout ce qu’elle voulait.

Elle se trouva un petit job de baby-sitting, tout en travaillant à peu près bien en classe. Elle faisait en sorte d’avoir juste ce qu’il fallait pour passer dans la classe supérieure et d’être laissée tranquille par ses professeurs sans que ses amis ne la considèrent comme un génie. Elle avait bien vu avec sa famille que c’était une mauvaise idée. D’être un génie. Elle se contentait donc du minimum. Elle n’avait pas envie qu’on la juge ou qu’on la mette de côté à cause de son cerveau. Elle voyait bien comment étaient traités les premiers de la classe. Les petits génies. Le Baby Sitting lui servit à s’acheter un ordinateur. Son ordinateur. C’était le seul endroit où son génie pouvait s’exprimer. Elle trouva très vite le dark side de l’Internet et entreprit de l’exploiter comme elle le pouvait, apprenant sur le tas à coder, hacker et créer des virus. Quand elle s’ennuyait, elle en envoyait certains par e-mail à ceux qu’elle n’aimait pas.

A seize ans, comme la loi le permettait, elle se trouva un boulot de serveuse dans un bar. Elle continuait le baby sitting aussi. Et, elle fut repérée pour devenir mannequin par un homme. Poser en sous-vêtements ne la dérangeait pas : elle n’avait pas exactement grandi dans une famille très pudique. Les photos payaient les factures et le shopping qu’une demoiselle faisait avec ses amies. Pour tous, Linn était une fille normale, un peu superficielle, qui parlait peu et qui vivait chez sa grand-mère. Personne ne savait le calvaire qu’elle avait vécu. Mais, dans ce quartier, tout le monde vivait un vrai calvaire. La vie de Linn n’était pas différente des autres.

Linn ne savait pas trop quoi faire de sa vie. Elle aurait aimé faire des études dans une matière qui l’intéressait. Mais, elle n’avait pas les moyens de partir loin. Dans une bonne université. Elle entra donc à la fac, et elle prit ça comme un nouveau départ. Ses examens d’admission, elle les avait tous passés hauts la main. Elle pouvait être qui elle voulait désormais. Mais, ce qu’elle était, c’était une hackeuse et elle n’avait aucune envie d’aller en cours d’informatiques pour réapprendre ce qu’elle savait déjà. Du coup, elle se dirigea vers une branche qui n’avait rien à voir. Un truc qui ne la mènerait jamais nulle part. De l’archéologie. Elle voulait se prendre pour Indiana Jones. Voilà cinq ans qu’elle apprend la meilleure façon de déterrer des cadavres vieux de plusieurs milliers d’années tout en continuant à travailler à côté. Serveuse dans un café cinq soirs par semaine, mannequin le samedi, et loque humaine le dimanche. Voilà la dure vie de notre petite Linn.